Rude Boy Train’s Classics – Mute Beat – Studio Live in Tokyo (Pony Canyon (ポニーキャニオン) – 1987)
“Rude Boy Train’s Classics”, c’est une série de chroniques d’albums qui ont marqué l’histoire du ska, du rocksteady ou du skinhead reggae. Standards objectifs reconnus par le monde entier ou chefs d’oeuvre personnels qui hantent nos jardins secrets, la rédac de Rude Boy Train vous fait découvrir ou redécouvrir ces albums majeurs qui méritent d’avoir une place de choix sur vos étagères ! Rendez-vous le premier vendredi de chaque mois.
BEAUCOUP D’HISTOIRE : Nous sommes au Japon au début des années 80. Aucun groupe ne revendique clairement une influence jamaïcaine dans la musique qu’il pratique. Certes il y a quelques rares groupes de rock qui utilisent parfois une rythmique ska ou reggae dans certains de leurs morceaux, à l’instar de The Roosters (ザ・ルースターズ) et son titre Rosie (ロージー) sorti en 1980 sur son premier album éponyme…
Mais il y a chez les Nippons des musiciens qui commencent à s’intéresser de près à la musique qui nous plaît tant. Parmi ceux-ci, on peut compter sur Kazufumi “Echo” Kodama, trompettiste de formation, et adepte de reggae et de dub. Le petit gars va se mettre en quête de zikos à Tokyo afin de former en 1983 ce qui sera le premier groupe de ska/reggae/dub du pays : Mute Beat. Eh oui, le Tokyo Ska Paradise Orchestra fondé en 1985 n’est par conséquent pas le premier groupe nippon revendiquant une forte influence jamaïcaine.
On retrouve dans ce combo les musiciens suivants :
– Kazufumi “Echo” Kodama à la trompette et leader ;
– Akihito Masui au trombone ;
– Hiroyuki Asamoto aux claviers ;
– Takayoshi Matsunaga à la basse ;
–Hideyuki Imai à la batterie ;
– Izumi “Dub Master X” Miyazaki en tant que dub mixer et ingénieur du son.
Une particularité donc, et de taille qui plus est, il n’y a pas de guitariste. Cela n’empêchera pas le groupe de faire une carrière, certes courte, mais très fournie et d’une bien belle façon.
Le groupe sort son premier album No.0 Virgin Dub en 1985 suivi un an plus tard par le splendide In Dub. Mais c’est en 1987 que le groupe va sortir deux très bons albums. Le premier intitulé Flower est composé de neuf titres, tandis que le second, Still Echo, en compte huit. Augusuts Pablo y fait d’ailleurs une apparition en featuring sur le dernier morceau, du grand art !
Et c’est cette même année que l’album qui nous intéresse aujourd’hui voit le jour !!
Suite à cela paraîtront l’album Lover’s Rock en 1988 suivi la même année de l’EP Sunny Side Walk. Enfin en 1989 sortira l’album March puis un live double CD enregistré pendant le concert à l’Inkstick Shibaura Factory le 17 juin.
Entre temps, le groupe enregistre en 1988 un live au Shibuya Quattro de Tokyo avec Mister Roland Alphonso himself. Sur un CV, ça en jette tout de même. Et puis ce live est d’une qualité certaine, et mérite une place de choix dans votre discothèque. Donc songez à vous le procurer si vous ne l’avez pas encore. À noter que le CD est sorti seulement dix ans après l’enregistrement du live…
Enfin les membres décideront d’un accord de prendre des voies et des chemins différents au début des années 90. Le leader du groupe fondera son projet solo, Kazufumi (Echo) Kodama from Dub Station (que je vous recommande chaudement d’écouter si vous ne connaissez pas encore).
L’ALBUM : Il est des albums qui marquent d’une empreinte indélébile l’esprit de celui qui l’écoute, et ce Studio Live in Tokyo de Mute Beat en fait clairement partie !! Composé de six titres, il a pour particularité d’être enregistré par tous les instruments ensemble d’une seule traite sans aucune retouche, si ce n’est le découpage final des morceaux, d’où son nom qui se révèle au bout du compte fort explicite.
L’album dans son entièreté possède un gros son dub avec une basse omniprésente une caisse claire de batterie qui a une sonorité de dingue !!
On y retrouve sur ce disque cinq titres de l’album Still Echo sorti la même année. Et d’ailleurs, lorsqu’on attaque avec le premier d’entre eux, on est immédiatement séduit par la beauté qui se dégage de tout cela. After the Rain (rien à voir avec le titre des Skatalites ou le chef d’œuvre de John Coltrane) est un joyeux de rocksteady. Point de cuivres ici, mais un trio basse/batterie/claviers qui fait des merveilles. La mélodie déposée par les claviers s’accompagne divinement bien à la rythmique jouée par le couple basse/batterie accompagné au contretemps par le piano. Dieu que c’est exquis.
On enchaîne ensuite avec le seul titre ska de l’album, à savoir Coffia. Une basse survitaminée, un piano millimétré et des cuivres d’une efficacité redoutable font de ce titre une valeur sure de l’album. D’ailleurs le tromboniste puis le trompettiste s’en donnent à cœur joie en exécutant à tour de rôle un solo de qualité. L’arrivée du synthétiseur sur la fin est bien trouvée et clôture parfaitement le morceau. Seule le batteur est un peu en dedans. Si son jeu est maîtrisé, il n’en reste qu’il n’est pas assez varié à mon goût. Ça manque de breaks et de petites ponctuations…
Parmi les trois autres morceaux issus de l’album Still Echo, deux sont résolument orienté reggae/dub et font un peu plus de six minutes chacun. Le premier est justement Still Echo. Kazufumi nous accorde une petite introduction qui ne figure pas sur la version originale. Si le début et la fin du titre sont plutôt reggae, le milieu est quant à lui très dub, avec un solo de trompette pas forcément géniale mais un solo de clavier qui compense largement les faiblesses du premier. Le second est Organ’s Melody, qui comme son nom l’indique ne met pas en avant les claviers. La mélodie jouée par les cuivres est entraînante, et la rythmique est tout simplement classe. Là encore le tromboniste, le trompettiste puis le claviériste se font plaisir et montrent de quoi ils sont capables. Ce qu’il y a de bien avec les musiciens japonais, c’est qu’on n’est que très rarement déçu sur le plan technique.
Enfin on a No Problem, un titre plus funky que jamaïcain. Franchement, c’est une tuerie absolue !! Ça swingue, ça groove, ça envoie, ça dépote et puis c’est tout… Pour mettre fin à un album de cette envergure, on n’aurait pas pu imaginer meilleure trouvaille.
Et au milieu de cette farandole de morceaux issus de l’album Still Echo, on retrouve un titre de l’album Flower (également sorti la même année) placé en avant-dernière position dans la tracklist. Beat Away est un bon gros mélange de reggae et de dub comme le groupe en a le secret. Je trouve que ce titre montre vraiment la propension que Mute Beat a eu pour la musique jamaïcaine, en particulier le dub. Il y a tout ce qui fait un excellent titre de reggae/dub : une rythmique à toute épreuve avec un gros son de basse bien épuré, des claviers métronomiques qui procure un accompagnement de choix aux cuivres interprétant avec brio et talent une mélodie simple mais diablement précieuse. Les passages dub sont particulièrement appréciables, d’autant plus que “Dub Master X” s’éclate comme un petit fou et prouve à quel point les japonais ont vraiment des ingénieurs du son figurant parmi l’élite mondiale du genre.
En conclusion, et vous l’aurez compris, le Japon est un pays qui réserve bien des surprises et des pépites musicales, à commencer par Mute Beat et cet album Studio Live in Tokyo. Qu’on se rassure, les autres aussi valent le détour. J’ai choisi celui-ci car je le trouve un cran au-dessus de l’ensemble des productions du groupe.
Il apparait cependant dommage et regrettable que le groupe ait mis fin à son existence, alors qu’il était sans conteste promis à une carrière aussi prolifique et belle que celle du TSPO.
Dans tous les cas, Mute Beat est et restera un précurseur de la musique jamaïcaine au pays du Soleil levant. Et rien que pour cela, nous pouvons les féliciter et les remercier.
Maxime