Rude Boy Train

Rude Boy Train’s Classics – The Aggrolites – IV (Hellcat Records/2009)

« Rude Boy Train’s Classics », c’est une série de chroniques d’albums qui ont marqué l’histoire du ska, du rocksteady ou du skinhead reggae. Standards objectifs reconnus par le monde entier ou chefs d’oeuvre personnels qui hantent nos jardins secrets, la rédac de Rude Boy Train vous fait découvrir ou redécouvrir ces albums majeurs qui méritent d’avoir une place de choix sur vos étagères ! Rendez-vous le premier vendredi de chaque mois… 

UN PEU (BEAUCOUP) D’HISTOIRE: Les cinq membres de The Aggrolites commencent à faire de la musique ensemble à Los Angeles en 2002 en tant que backing-band de Derrick Morgan. Certains membres du groupe ont auparavant joué avec The Rythm Doctors et The Vessels, des groupes ska locaux (Jesse Wagner et Brian Dixon avaient déjà fait équipe au sein des excellents See Spot). Le travail d’accompagnement de Derrick Morgan se passe à merveille et les cinq lascars décident de continuer un bout de chemin ensemble.

Le groupe crée rapidement un savant mélange de reggae, de soul et de rock teinté de rocksteady et de funk. Ce cocktail explosif, ils prendront l’habitude de la nommer « Dirty Reggae » car effectivement, leur musique jamaïcaine semble pervertie par des influences plus américaines.

The Aggrolites s’inspirent de la scène reggae, rocksteady et ska des années 60, notamment des artistes comme Toots And The Maytal, Derrick Morgan, Symarip ou Prince Buster… Leur nom fait référence à The Aggrovators, un groupe jamaïcain des 70’s dans lequel de nombreuses pointures ont fait escale (Tommy Mc Cook, Jackie Mittoo, Sly And Robbie…) et évoque par son préfixe « Aggro », la violence qui règne dans les stades britanniques. Car l’Angleterre est bien dans l’esprit de ces quatre musiciens. Ils ont été nourris au Clash et leur style de prédilection, l’early reggae (ou skinhead reggae) s’est développé en Angleterre où les immigrés jamaïcains étaient nombreux et le rastafarisme absent, avec des artistes comme The Pioneers ou Laurel Aitken. Mais leur musique est aussi chargée de références américaines, du funk de The Meters à la soul de James Brown.

En 2003, le quintet accompagne Prince Buster sur scène au Etats-Unis. Ce dernier ne tarira pas d’éloges en s’étonnant qu’un groupe aussi jeune puisse jouer à la perfection cette musique comme à l’époque de ses premiers enregistrements. La même année, Jesse Wagner (chant-guitare), Brian Dixon (guitare), J Bonner (basse), Roger Rivas (clavier) et Korey Horn (batterie) entrent en studio et bouclent leur premier album en une seule journée, dans des conditions proches du live. « Dirty Reggae » sortira sur le petit label Axe Records.

En 2004, le groupe arrive sur Hellcat Records, le label de Tim Armstrong, pour la compilation « Give’em the Boot IV ». En 2006, il sort son 2ème album, éponyme, pour la même maison de disques, sans Korey Horn à la batterie (remplacé par Scott Abels) et commence à se faire connaître partout dans le monde. En décembre 2006, The Aggrolites accompagnent même Madness lors de leur tournée britannique.

Peu de temps après, ils enregistrent avec leur ami Tim Armstrong son premier album solo , « A Poet’s Life » (une totale réussite), qui sort en mai sur Hellcat. Korey Horn est en outre de retour au bercail. Un mois plus tard, c’est leur troisième album, « Reggae Hit L.A. », qui parait sur Hellcat, accompagné de l’excellent single « Free Time » qui sera bien diffusé par les radios locales.
En août, J. Bonner, le bassiste d’origine, quitte le groupe et est remplacé par David Fuentes, membre de Hepcat, célèbre groupe de ska 60’s californien. Malheureusement, un mois plus tard, Fuentes décède. The Aggrolites et Hepcat joueront ensemble pour une série de concerts hommage sous le nom de Aggro-Cats. J. Bonner retrouve le groupe pour assurer la Warped Tour 2008, puis il est remplacé par Jeff Roffredo à partir de la tournée européenne qui débute en septembre 2008 sans malheureusement faire escale en France.

Le quatrième album, tout simplement intitulé « IV », est enregistré en janvier 2009 et sort en juin chez Hellcat. Il sera suivi en 2011 par un live, « Unleashed Live Vol 1 », et par « Rugged Road », le cinquième album sorti la même année, sans Brian Dixon parti voir ailleurs.

LE DISQUE : Quand on découvre cet album, on constate que le quintet est devenu un quatuor. Le groupe, sapé comme un gang de Chicanos de South Central, a perdu son batteur. C’est cependant leurs historiques chahuteurs de fûts Scott Abels et Korey Horn qui s’y collent en musiciens additionnels. Donc pas d’inquiétude. Et côté basse, Jeff Rofredo a remplacé avec brio le spectaculaire J. Bonner.

75 minutes de musique, 21 titres, ça peouvait paraître carrément indigeste comme ça sur le papier. Et j’avoue avoir eu quelques doutes au moment de passer ma commande. Sauf que les doutes se sont envolés dès la première écoute.

La recette est toujours un peu la même : beaucoup de reggae, le meilleur, celui des débuts, un soupçon de soul, un zeste de funk, un poil de rocksteady. Mais la recette a su évoluer et gagner encore en saveur. La production est une fois de plus énorme, et on constate rapidement que plusieurs titres font office de moments forts parfaitement répartis au gré de cette heure et quart de bonheur.

« Firecracker », très funky, entame la galette sur les chapeaux de roue, avec un groove énormissime qu’on croirait sorti d’un épisode de Shaft.
« Wild Time » démarre sous les même auspices, avant de virer reggae got soul, avec des chœurs qui seront, à n’en pas douter, repris bientôt dans la fosse par une horde d’élégants gentlemen aux cheveux coupés très courts.
« Feelin’ Alright », un peu plus traditionnelle, un peu plus jamaïcaine, donne foutrement envie de danser sur une plage de Négril avec une relayeuse de l’équipe nationale du 4 X 100 mètres ! Un peu comme « Keep Moving On », plus rapide, peut-être même un cran au-dessus. Et alors cette ligne de basse !!!
« Ever Want To Try », plus rocksteady, avec encore un gros travail sur les chœurs, est une chanson de lover pas balourde pour un rond. L’antithèse absolue de Francky Vincent ou de William Baldé.
« Tear That Falls », ceux qui étaient allés sur le myspace du groupe il y a quelques mois la connaissent. Un titre calme à la « Redemption Song » de Bob Marley, du même tonneau, sans déconner, avec un Jesse Wagner qui sort une voix de derrière les fagots que tu pleures tellement c’est beau.
Et juste après les mecs, pas cons, nous balancent « Gotta Find Someone Better », le titre le plus soul de l’album, peut-être même de leur carrière, avec une section cuivres emmenée par le sax d’Efren Santana (Hepcat) qui arrache tout sur son passage.
Sur « Precious And Few », les « ahahahahahhhhhh » rappellent « Soul Rebel », et le son de clavier de l’ami Roger Rivas est là pour faire chavirer le cœur de toutes les jeunes filles en fleur. Et oui, ce disque est aussi une tuerie pour draguer sur le dancefloor.

Je me rends compte à cet instant de ma chronique que les « moments forts » se ramassent à la pelle et qu’il me faudrait trente pages pour être exhaustif.

J’insiste cependant encore sur « Brother Jacob », très fortement inspirée par une certaine tradition américaine de songwriters folk populaires tels Woodie Guthrie (l’homme qui avait écrit sur sa guitare « This machine kills fascists »). Un morceau qui sent bon la Californie ouvrière que l’on croise chez Steinbeck, et qui fait office d’heureuse surprise légèrement décalée.

On pourra toujours grogner que deux ou trois titres, des boucles early reggae instrumentales un peu vaines (« Musically On Top », « Lick It Up étaient dispensables (bien que pas désagréables non plus). Il suffira ensuite de s’envoyer un grand coup de « The Sufferer » dans les esgourdes pour se convaincre qu’on tient là un album indispensable.

Quant au vingt et unième titre, ben il faudrait que vous l’écoutiez pour comprendre ce que je ressens quand je me le passe. Le groupe a compris comment faire sortir l’auditeur de cette expérience sonore sur un tapis de velours. C’est tout simplement magnifique et ça s’appelle « It’s Gonna Be Ok ». Un titre bien nommé qui résume à lui tout seul la teneur de ce disque que je ressortirai encore fébrilement dans vingt ans, pour montrer aux jeunes rastas de mon quartier que bien avant leurs idoles soutenues par MTV 11 ou MCM 14, il y avait à L.A des génies qui se faisaient appeler The Aggrolites.

Vince

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