Rude Boy Train’s Classics – The Pietasters – Willis (Hellcat Records/1997)
« Rude Boy Train’s Classics », c’est une série de chroniques d’albums qui ont marqué l’histoire du ska, du rocksteady ou du skinhead reggae. Standards objectifs reconnus par le monde entier ou chefs d’oeuvre personnels qui hantent nos jardins secrets, la rédac de Rude Boy Train vous fait découvrir ou redécouvrir ces albums majeurs qui méritent d’avoir une place de choix sur vos étagères ! Rendez-vous le premier vendredi de chaque mois…
UN PEU (BEAUCOUP) D’HISTOIRE: En 1990, du côté de la Virginie, Steven Jackson et Chris Watt vont au lycée et commencent à jouer des reprises punk, histoire de s’occuper le dimanche. Un de leurs potes, Tal Bayer, les rejoint et leur suggère de monter un groupe de ska. Tom Goodin et Ben Gauslin rejoignent la fine équipe. C’est le début de The Slugs. Ils mélangent ska, reggae et punk-rock et sont inspirés par Madness, Bad Manners ou The Skatalites. The Slugs étant un patronyme déjà utilisé par d’autres, les gaillards pensent un temps s’appeler Dancehall Crashers. Sauf qu’un (excellent) groupe ska californien s’appelle déjà ainsi. On leur suggère « The Pietasters » et ils disent banco.
Quelques mois plus tard, ils jouent avec un groupe du coin, The Skunks, dans un rade de Georgetown. Ils ne sont pas encore très pros mais ils persévèrent, écument les bars de la région de Washington DC et finissent par enregistrer un album éponyme qui sort en 93 sur Slugtone, leur propre structure (avant d’être repris par Moon Records). La formation est alors celle-ci : Stephen Jackson et Talmage Bayer au chant, Tom Goodin à la guitare, Chris Watt à la basse, Ben Gauslin aux fûts, Eric Raecke au sax tenor, Rob French au trombone, Carlos Linares à la trompette et Caroline Boutwell au clavier. Le groupe enchaîne à l’été 93 avec une tournée dans un bus pourri. Ils passent par l’Ohio, l’Oregon, le Kansas et vont même jusqu’au Canada. A leur retour, la plupart des musiciens se tirent.
Les Pietasters partent à la recherche de nouveaux zicos et se décident pour Jeremy Roberts (trombone), Toby Hansen (trompette) et Alan Makranczy (sax), Rob Steward (batterie), et Paul Ackerman (clavier). Le combo tourne d’arrache-pied et attire l’attention de Rob « Bucket » Hingley, l’english man in New-York de The Toasters et patron de Moon Records. A cette époque, ce label est la référence absolue en matière de ska, et The Toasters est un groupe incontournable. Bucket organise « Skavoovie 94 », une tournée 100 % ska, et embarque The Pietasters. Fort de cette expérience le groupe enregistre son nouvel album, Oolooloo, pour Moon, avec Victor Rice (ex-Slackers, New-York Ska-Jazz Ensemble, Scofflaws, Stubborn Allstars…) à la production. Le disque sort en 95 et un live, Strapped Live !, paraît en 96.
The Pietasters part en tournée avec The Mighty Mighty Bosstones et fait une escale à Los Angeles. Un type qui vient de monter son label les regarde depuis les coulisses et les interpelle après le concert. Il s’appelle Tim Armstrong et a déjà signé deux pointures ska, The Slackers et Hepcat, et mise beaucoup sur des gars de Boston nommés Dropkick Murphys. Il convainc le groupe de rejoindre Hellcat Records.
Willis, leur troisième album, est enregistré en 97 avec un certain Brett Gurewitz à la production. C’est l’année de l’explosion du ska aux Etats-Unis et le combo rencontre un certain succès. Ils organisent leur première tournée en Europe (ils jouent à Paris en juin 98 avec The Mighty Mighty Bosstones) et participent au Warped Tour.
En 1999, ils enregistrent Awesome Mix Tape # 6 pour Hellcat Records (toujours avec Brett Gurewitz), leur quatrième opus, et repartent en tournée. Au fil du temps, ils introduisent pas mal de soul dans leur mixture ska, rock, punk. Ils tournent avec Sping Helled Jack et ouvrent pour Joe Strummer, alors confrère de label.
Paul Ackerman, Tom Goodin et Todd Eckhardt quittent ensuite le groupe. Erick Morgan reprend le clavier, Jorge Pezzimenti la basse, et Toby Hansen délaisse la trompette (il est remplacé par Carlos Linares) pour la gratte.
Fin 2001, les gars enregistrent un nouvel album, lorsqu’ils apprennent la mort de leur ancien bassiste, Todd, décédé durant son sommeil. Ils ne baissent pas les bras pour autant et sortent Turbo (surnom de Todd) sur Fueled By Ramen en 2002. Le disque va encore plus loin dans le mélange et dans la soul et les riddims jamaïcains, et rencontre un vrai succès critique. A tel point que James Brown lui-même demande aux Pietasters d’être son backing-band pour un concert sold-out à Washington en décembre 2002.
En 2005, The Pietasters sort son premier DVD, Live At The 9:30 Club. La chanson « Out All Night » figure dans les jeux vidéo « Street Sk8er » pour Playstation, et « NCAA Football 06 ». En 2006, le groupe joue à l’International Ska Circus de Las Vegas, grand raout aujourd’hui défait.
Le 21 août 2007, dix-sept ans après ses débuts, The Pietasters publie un nouvel album studio intitulé All Day qui sort sur Indication Records aux USA et Rockers Revolt en Grande Bretagne.
Steve Jackson et ses potes repartent sur les routes, tournent en Angleterre en 2008 avec The Slackers et Pama International, participent à la nouvelle édition du Ska Is Dead Tour (avec Bomb The Music Industry, Mustard Plug, Westbound Train, Big D…) et accompagnent notamment les Mighty Mighty Bosstones lors de leur retour en grâce en 2009. Actuellement, le groupe donne toujours des concerts aux USA a dfaut d’avoir des projet de nouvel album. C’est déjà pas mal.
LE DISQUE:
« Willis » est, à n’en pas douter, l’album le plus connu et le plus grand public du combo de DC mais c’est aussi celui qui a bénéficié (avant « Awesome Mix Tape # 6″) de la force de frappe de l’écurie Epitaph (propriétaire de Hellcat) qui devait avoir encore pas mal de dollars dans ses caisses après le succès phénoménal de The Offspring trois ans plus tôt.
The Pietasters a donc même eu droit à son clip bien léché pour MTV, « Out All Night », à ce jour le titre le plus fameux du groupe. C’est ska, c’est rugueux et c’est un chef-d’œuvre de trois minutes avec un refrain catchy comme on n’en fait pas souvent. Tout ce que la chaîne avait envie d’entendre en 97. On ne pourra cependant pas reprocher aux Pietasters d’avoir malhonnêtement profité de la vague puisqu’ils étaient là avant presque tout le monde et que « Out All Night » comme la quasi-totalité du disque, aurait pu sortir deux ans plus tôt, sans le soutien de MTV et des radios branchées qui pour un temps avaient décidé que le ska serait « the next big thing ». Bref…
Ce qui frappe à l’écoute du disque, c’est la soul. Dès le premier titre, « Crazy Monkey Woman », le ton est donné. Le groupe ne fait certes pas dans le style Motown/Stax, il perverti même le genre avec une furie punk assez débordante, mais on sent bien qu’il pose là les bases de ce que sera son crédo futur : un mélange de ska et de soul, et en fonction des disques, de punk-rock ou de reggae. La soul des Pietasters, c’est celle des bayous, celle, rugueuse, qui vient de RL Burnside, de Link Wray et de Robert Gordon. Les bluesmen du terroir ont donné vie au rhythm’n’blues puis à la soul. Et si on y réfléchit bien, au punk-rock du côté de Détroit quand les Stooges mettaient le feu. Sur « Willis », les Pietasters convoquent tous ces esprits-là, ainsi que ceux de Black Flag, The Specials, Operation Ivy et Jackie Wilson. « Stone Feeling » est carrément à la croisée du rock’n’roll sauvage et des vociférations d’un James Brown. La soul des Pietasters est toujours furieuse, jamais policée, jamais entravée par un quelconque besoin de faire comme l’un ou de sonner comme l’autre. Quant à « Quicksand », c’est clairement le titre le plus northern soul du disque et on se croirait revenu dans une salle de bal désaffectée au début des 70’s pour passer la soirée à onduler d’la croupe.
Évidemment côté ska, le rude boy en a pour son argent. Je commence avec la finesse d’« Ocean », la classe de la voix de Steve Jackson, cette rythmique si particulière (le contretemps s’est fait discret) et le sifflement de cette superbe section cuivres. « Time Won’t Let Me » est emballé dans un son de clavier assez jouissif et le refrain me fout des frissons dans le dos à chaque écoute. « Moment » la joue coolos pour clore le skeud et ça fait carrément un bien fou, comme « Higher », très lente, reggae mais dirty, avec pas mal d’émotion, qui montre que ces gars ont un p’tit cœur qui bat…
« Fat Sack » est une pure merveille ska-punk, avec un refrain emballant et toujours des cuivres incisifs. On pense évidemment aux Bosstones pour la voix rocailleuse et l’énergie, et on est toujours assez loin du son californien. On a même un plan à la limite du calypso avec « Without You », histoire de rappeler aux jeunes que les racines du groupes se trouvent du côté des Caraïbes.
Et puis il y a aussi des titres pas trop « classables », comme « Crime », à la fois rock, soul et débraillé mais toujours stylé, ou « Bitter », simplement soul-punk, on ne peut pas décrire ça autrement… En tout cas, quel que soit le style, on est certain qu’une pièce maitresse de l’arsenal Pietasters se situe dans l’organe vocal de sieur Jackson, capable de rivaliser tranquille avec un Dicky Barrett. Même trip pour « New Breed », même force, même qualité, même énergie.
« Énergie ». Un maître-mot pour le combo. Pas moyen de s’endormir, pas moyen de se sortir les hits du crâne, pas possible de ne pas s’incliner devant autant de talent.
The Pietasters est un grand groupe, et « Willis » un putain d’album à redécouvrir.
Vince
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